Les juridictions d’exception, une aberration du système capitaliste

Lorsque la Révolution établit comme valeur suprême : Liberté, Egalité, Fraternité, elle énonçait un principe d’équité et de justice universelle pour tous. Il s’agissait par là de défendre les plus faibles et les exclus. L’indépendance de la Justice tirant sa légitimité de la République en était le garant.

Avec le temps, l’usure des hommes et la dérive des institutions, le pouvoir d’interprétation des lois s’est éloigné du peuple pour se rapprocher des intérêts des plus puissants. Cette tendance est hélas naturelle dans la lutte ancestrale pour la survie et la domination. 

Dans la confusion de l’inflation des lois et de leur interprétation, le développement de juridictions d’exception est une des stratégies des ploutocrates pour échapper à la justice des hommes. En effet, avec la montée du pouvoir des « Big Corp », les ploutocrates et les « capitaines » qui sont à la tête des plus puissantes d’entre elles, ont encouragé la création de juridictions particulières qui se prétendent adaptées à des situations particulières, mais ne sont en réalité que des voies détournées pour échapper légalement à la Justice. Avec les Tribunaux supranationaux ou d’exception, nous assistons à une dérive qui est installée pour protéger le système capitaliste en place et toutes les conséquences néfastes à ses intérêts immédiats et financiers. 

Pour mémoire, les juridictions d’exception sont apparues avec la mondialisation et l’introduction dans les traités internationaux (OMC, TAFTA, ALENA, etc..) de clauses visant à défendre les intérêts des grandes entreprises étrangères dans les pays tiers où elles investissent. La plupart des traités internationaux comprennent la mention de ces Tribunaux spéciaux pour juger des conflits entre Etats d’accueil et industriels. Le recours à l’arbitrage a été retenu comme étant la meilleure et la plus efficace des méthodes pour régler les conflits entre Etats et entreprises. Cela est vrai en théorie, sauf lorsque les avocats et arbitres sont rémunérés par, et donc dévoués à la cause des entreprises.

Les tribunaux d’arbitrage d’investissement sont un mécanisme permettant à un investisseur étranger d’attaquer en justice un Etat lorsque celui-ci a pris une mesure nuisant à son investissement. Dans le cas d’une expropriation physique directe par un pouvoir autoritaire, les montants d’indemnité peuvent sembler faramineux, mais la procédure ne soulève pas de question particulière de légitimité. Mais qu’en est-il lorsque Philip Morris attaque l’Uruguay au motif que son projet de mise en place d’avertissements sur les paquets de cigarettes porterait atteinte au droit de propriété du cigarettier ? Ou lorsqu’une entreprise minière canadienne demande 16 milliards de dollars à la Colombie pour avoir déclaré « parc national naturel » la partie de la forêt amazonienne où la firme avait un projet de concession de mine d’or, de fait annulé ?

Nous assistons alors à des aberrations comme de voir un Etat condamné à verser des milliards de dollars à une entreprise car cet Etat décide de protéger ses citoyens de la pollution générée par l’industriel !

En effet, les Etats eux-mêmes ont toléré, puis accepté et enfin reconnu la légitimité de telles juridictions d’exception. Les Etats ont abdiqué leur pouvoir. Cette capitulation des Etats devant cette parodie de justice révèle de quel coté vont les soutiens des dirigeants politiques de nos pays occidentaux : vers ceux qui sont prêts à partager leur argent sale pour que leur activité continue sans entraves.

Ainsi la Justice d’exception sera amenée à défendre des intérêts matériels contre des valeurs, des causes ou arguments immatériels dans un monde qui donne la prééminence au Matériel.

Le matériel possède un coté tangible qui peut être mesuré et chiffré, donc argumenté et prouvé (et qu’un tableur Excel peut arranger à tout moment). Les aspects immatériels comme la santé future ou la dégradation de l’environnement n’ont quant à eux pas la perfection du chiffre exact. Ils ne font donc pas « le poids » par rapport à la certitude du chiffre qui est la seule mesure de la confrontation entre gagnants et perdants.

Prise au piège du seul chiffrage des investissements, des pertes, des manques à gagner, des dédommagements, la justice est menée automatiquement et fatalement à donner raison à la seule partie visible et mesurable des dossiers : les chiffres. La force du chiffre arrange les ploutocrates qui ainsi dominent et évacuent l’immatériel plus difficile à mesurer.

Cependant, contrairement au politique devenu esclave des chiffres, la société civile affirme de plus en plus souvent que l’humain est plus important que le matériel. La justice se demande désormais comment échapper au piège qu’elle a toléré avec les Tribunaux d’Exception qui n’ont d’autre but que la mort de la justice.

La Justice et le Droit sont là pour faire le tri des arguments, leur recevabilité et leur pertinence. Ainsi le Juge va évaluer une situation avec les outils dont il dispose (Droit, Jurisprudence, Morale?). Si les outils dont il dispose ne sont plus suffisants pour assurer l’indépendance de la justice, nous devrons introduire de nouvelles notions juridiques qui soient déterminantes dans l’élaboration difficile d’un jugement objectif.

Ainsi, c’est la question de la finalité même de la justice qui se pose : pour qui la justice est-elle faite ? Pourquoi et comment la justice existe-t-elle ?

L’introduction de la « finalité » dans le droit est une piste pour redonner à l’immatériel un poids qu’il a perdu dans les arguments de justice.

L’objectif de toute réforme nécessaire sera désormais de permettre aux valeurs morales ou humaines d’avoir un poids équivalent, voire supérieur aux valeurs matérielles et financières.

L’introduction de la notion de finalité permettrait de trouver les vraies réponses au « Pourquoi » de certains procès intentés par les « Big Corp ». Au lieu de présenter et juger le « manque à gagner » des industriels, que ne se pose-t’on la question de savoir quel était l’objectif final, les contraintes et les moyens mis en œuvre pour y parvenir. Lorsque la contrainte est humaine et que le mépris de l’humain est nécessaire à la finalité, alors comment ne pas porter le débat vers l’importance de l’humain et surtout vers les préjudices causés à l’humain versus les dommages causés à l’économique.

Le second principe d’arbitrage entre la priorité industrielle et la priorité humaine devra donc être celui de la « prééminence du vivant sur l’inerte ».

Ce second principe doit être affirmé et inscrit dans la loi pour que la finalité industrielle ou matérielle soit tempérée par l’examen des conséquences d’une activité sur son environnement. 

En introduisant la finalité des industriels et la primauté du vivant, nous inverserons la position de victime qui ne sera plus l’industriel lésé, mais le citoyen assassiné. Cette première étape en modifiant la personne victime, modifie aussi le choix des tribunaux et juridictions.

Au-delà même de cette faculté d’écarter les tribunaux d’exception en redéfinissant qui est la vraie victime, le recours aux notions de « finalité » et de « vivant » permettra aussi aux victimes humaines de contester le recours à un tribunal d’exception et réaffecter l’examen des cas au Tribunaux publics.

La conclusion est évidente : les Tribunaux d’exception sont une prolongation de l’injustice inhérente au système capitaliste lui-même. En tant que tels, les Tribunaux d’exception doivent disparaitre. Pour y parvenir, il faut rendre à la fois évident et obligatoire, le recours aux tribunaux normaux. Le Tribunal d’Exception restera ainsi exceptionnel en laissant au seul juge la possibilité de recourir à l’arbitrage des tribunaux d’exception, mais ce uniquement en seconde instance, s’il le juge souhaitable et après en avoir défini la mission et ses limites. Les notions de finalité (le mobile) et de prééminence du vivant doivent être rétablies dans le droit des conflits entre Etats et entreprises. En obligeant une première instance sur ces bases démocratiques et devant une juridiction publique, cela pourrait imposer une solution imparable pour éliminer la force léonine des ploutocrates devant un Droit auquel ils tentent d’échapper par tout moyen.

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